Pourquoi j'ai refusé de convoquer le conseil municipal dimanche prochain.
Lorsque les résultats du scrutin sont connus au premier tour, le maire sortant, en tant que représentant de l'État, doit convoquer les membres du conseil municipal dans les sept jours pour procéder à l'élection du maire, de ses adjoints et pour délibérer sur les premières décisions (délégations accordées au maire, indemnités, etc.).
C'est un moment républicain important.
Les conseillers municipaux élisent le maire et les adjoints. Le public est invité à assister à la cérémonie de remise de l'écharpe tricolore. Les proches des élus sont présents, l'instant est solennel et je garde un souvenir ému de mes deux élections.
Cependant le contexte sanitaire exceptionnel dans lequel nous sommes a fortement perturbé notre vie démocratique.
Dans son allocution, le président de la République a appelé à l'unité nationale. Il a employé des mots forts, des mots guerriers pour lutter contre la propagation du virus, nous sommes dans une situation d'état d'urgence.
Nous nous retrouvons confinés pour la plupart d'entre-nous avec un mot d'ordre sans équivoque : évitez tout regroupement y compris auprès des membres de notre famille.
Olivier Véran, ministre de la santé, a précisé les choses : "N’entrez pas en contact avec plus de 5 personnes par jour. Chaque contact évité peut être une vie sauvée."
Dès lors je trouve anormal de réunir les 23 nouveaux élus et les 2 personnels communaux nécessaires au bon déroulement du scrutin.
Je suis encore le maire d'Anzin-Saint-Aubin jusqu'au 22 mars prochain. Outre le contexte national, l'autorité territoriale doit s'assurer de la protection de ses agents. Cette semaine j'ai donc pris les dispositions nécessaires pour protéger le personnel communal en fermant l'accueil physique de la mairie, tout en assurant un service minimum pour les cas d'urgence comme par exemple les décès ou la mise en sécurité des sites communaux.
Parallèlement les services de l'État me demandent d'organiser la tenue de ce conseil municipal en prenant les dispositions nécessaires pour m'assurer de bonnes conditions sanitaires. Cela signifie de porter un masque, de mettre du gel hydro alcoolique à disposition, de désinfecter les locaux et de tenir ce conseil municipal à huis clos.
Je vous le dis haut et fort, c'est une aberration et je me refuse à convoquer des personnes quand tous les indicateurs démontrent que nous allons connaître le pic de contagion dans les prochains jours. C'est pour moi de l'irresponsabilité. Cette décision de l'État est contradictoire et je ne la peux cautionner.
Certains diront que c'est de la désobéissance, d'autres une manœuvre politique.
Peu importe, nous n'en sommes plus là à l'heure actuelle. Vu le contexte actuel, il serait désolant que le conseil municipal ait besoin d'un bout de papier pour se réunir. Le doyen du conseil présidera la séance et procédera au déroulement des opérations.
Ma décision n'aura donc aucun impact sur la légitimité du scrutin, je tiens à le rappeler.
Là où je m'insurge c'est que nous avons été dupés par le gouvernement.
En bons soldats de la République, nous les maires, avons suivi les instructions gouvernementales en suivant consciencieusement les pointillés.
Nous ne sommes pas simplement des représentants de nos communes, nous sommes également des représentants de l'État. Nous avons donc organisé les bureaux de vote comme il le fallait, en prenant des mesures anxiogènes pour la population alors qu'elles auraient dû nous alerter sur le fait qu'on faisait courir un risque sanitaire à nos concitoyens.
Face à des défections pour tenir les bureaux de vote, certains élus ont doublé leur permanence. Comme mes adjoints, j'ai personnellement tenu pendant cinq heures un bureau de vote.
Une de mes adjointes a tenu un bureau de vote pendant 7 heures 30 sans la moindre pause. A l'heure où j'écris ces lignes, elle tousse sans discontinuer et se demande si elle n'a pas contracté une forme de Coronavirus. Son inquiétude est grande, tout autant que la mienne et nous allons suivre son évolution avec la plus grande prudence qui soit.
Je suis en colère car nous, les maires, n'avons pas eu le cran de refuser la tenue de cette élection.
Sous l'impulsion de l'AMF (Association des Maires de France), nous aurions dû nous prononcer fermement pour un report de cette élection. Nous n'avons rien fait. Une forme d'hypocrisie gouvernementale a prévalu.
J'assume ma part de responsabilité. La plupart des candidats voulaient en finir avec cette élection hors normes, l'État également car un report aurait coûté de l'argent. Aujourd'hui on débloque 45 milliards d'euros d'un claquement de doigts pour parer à l'ampleur de la crise qui nous touche.
Indirectement, sous les ordres de l'État, nous avons contribué à propager ce virus. Les spécialistes s'accordent à dire que le virus se transmet par voir aérienne ou par contact avec une surface contaminée. Après le passage dans l'isoloir, les tablettes et autres surfaces n'ont pas été systématiquement désinfectées mais simplement à intervalle régulier.
Elles ont été nettoyées en ce qui nous concerne mais pas après le passage de chaque électeur ou électrice.
Certains citoyens qui avaient des quintes de toux se sont malgré tout déplacés pour faire leur devoir civique et ils ne portaient pas de masque, faute d'en avoir trouvé.
Agnès Buzyn, ancienne ministre de santé, l'a déclaré au journal le Monde « On aurait dû tout arrêter, c’était une mascarade » (en parlant de l'organisation des élections). Elle affirme avoir prévenu le Premier Ministre le 30 janvier que les élections ne pourraient pas se tenir.
Dans le landerneau des élus, cette rumeur d'annulation a longtemps bruissé. Confortés par l'avis de "spécialistes" qui nous disaient que des "gestes barrière" suffiraient à endiguer la propagation du virus, nous avons fait confiance.
Aujourd'hui un simple regard sur les données mondiales montrent chaque jour le caractère exponentiel de cette pandémie : https://www.worldometers.info/coronavirus/
Le journal Libération a fait le parallèle avec l'Italie. Nous aurions neuf jours de décalage avec ce pays. Hier l'Italie totalisait plus de 2500 morts (dont 345 nouveaux rien que pour la journée d'hier). Deux semaines avant le scrutin, l'Italie était déjà en confinement, le 4 mars il y avait 107 morts pour 3000 cas. Nos voisins anglais, beaucoup moins impactés que nous, ont eu la sagesse de reporter d'un an les élections locales qui devaient se tenir le 7 mai.
Peu importe la façon dont on interprète mon témoignage, l'heure est à l'unité nationale et la nation doit faire corps avec les services de santé publique et toutes les autres forces de l'État mobilisées comme l'armée ou la police.
Nous devons être solidaires avec les personnes qui s'occupent de l'acheminement des denrées et de toute la logistique au bon fonctionnement de notre société. Sans toutes ces personnes dévouées, la situation serait catastrophique. La nouvelle équipe municipale pourra également compter sur mon soutien.
Loin de vouloir polémiquer, je veux avant tout m'exprimer sur ma dernière décision d'élu et dire que le moment voulu, quand ce virus aura été éradiqué, que l'expression démocratique pourra retrouver son sens et que nos libertés ne seront plus entravées, alors en tant que simple citoyen, je demanderai des comptes.
Bien à vous.
David Hecq